chapitre1b La fin des certitudes et l'effet papillons

Dans les années 60, Lorenz, un mathématicien américain s'intéressant aux problèmes de prévisions météorologiques, découvre l'extrême sensibilité aux conditions initiales du comportement d'un système relativement simple d'équations différentielles destinées à modéliser le climat. Ce système deviendra le prototype des systèmes chaotiques. Mais il publie son modèle en 1963 dans une revue de météorologie, lue seulement par des spécialistes, (et il n'a jamais semble-t-il entendu parler ni de Poincaré ni des travaux de Hadamard). C'est pourtant lui qui sera connu du grand public ou plutôt sa métaphore, devenue célèbre, de l'effet papillon qui illustre la sensibilité aux conditions initiales.

C'est aussi en 1963 que l'embryologiste Brian Goodwin, commença ses travaux sur la morphogenèse. Il expliquait que :

les moyens de contrôle moléculaires, tels que la rétroaction, la répression, le contrôle de l'activité enzymatique – en d'autres termes la logique intrinsèque locale d'un système complexe – donnaient spontanément naissance à des comportements oscillatoires et des schémas structuraux globaux… le fond de l'ouvrage – apparition de l'ordre comme produit inévitable de la dynamique d'un système.(1)

De son côté, le physico-chimiste Ilya Prigogine, après des études à Bruxelles dans plusieurs disciplines, travaillait sur la thermodynamique loin de l'équilibre et commençait à publier en 1968. Il mit en évidence de multiples comportements inattendus, apparaissant, loin de l'équilibre dans des structures qui dissipent l'énergie (les structures dissipatives) : oscillations, multistationnarité, chaos déterministe et apparition de formes organisées. Il mit l'accent sur l'irréversibilité de « la flèche du temps » (contrairement à la doxa en physique) et sur l'impossibilité, dans bien des cas de prédire le comportement d'un système physico-chimique. C'est pour lui la fin des certitudes, qu'il assimile à la fin du déterminisme, alors que d'autres physiciens, travaillant dans le domaine de la physique statistique sur la dynamique de systèmes non-linéaires, retrouveront ces comportements, mais parleront de déterminisme non prédictible.

C'est de la même époque que date la théorie des catastrophes du mathématicien René Thom, bien que celui-ci ait refusé de façon véhémente de voir la proximité de ses travaux avec ceux de Prigogine ou d'autres pionniers de la complexité comme le biologiste-philosophe Henri Atlan(2).

Parmi les pionniers on peut encore citer Humberto Maturana et Francisco Varella et leur théorie autopoïétique de la vie (1972) où ils considèrent, au delà de l'auto-organisation, que l'auto-reproduction est la caractéristique essentielle des systèmes vivants.

Tous ces précurseurs ont en commun à la fois une bonne familiarité avec les mathématiques, une grande curiosité qui les a souvent amenés à s'intéresser à plusieurs champs disciplinaires et la volonté (voire le courage) de chercher hors des sentiers battus.