chapitre1d Complexité et interdisciplinarité

Peut-être faut-il ici commencer par faire un point de vocabulaire : pluridisciplinarité, interdisciplinarité, transdisciplinarité, ne sont pas des synonymes. Marcel Jollivet, résumant un séminaire tenu en 2001 sur le thème Relier les Connaissances, Transversalité, Interdisciplinarité écrit :

L'interdisciplinarité est définie par l'un des intervenants comme « une démarche d'assemblage dialogique des apports disciplinaires nécessaires à l'analyse d'un objet complexe ». Le qualificatif « dialogique » est employé pour signifier une différence fondamentale avec la pluridisciplinarité, dans laquelle les apports des disciplines sont simplement juxtaposés. Cinq niveaux d'intégration sont à distinguer dans une démarche interdisciplinaire. (1)

La transdisciplinarité, quant à elle, est vue comme procédant directement de la totalité, ce qui suppose dès le départ l'énoncé d'un point de vue qui surplombe tous les points de vue disciplinaires. Ceci entraîne une exigence particulière de rigueur. Par ailleurs, il faut prendre garde au fait que la référence à la totalité ne renvoie ni à une cohérence globale, ni à une connaissance exhaustive du tout. Il faut accepter à la fois l'aspect encyclopédique de la connaissance mobilisée et son caractère inachevé, et les interprétations qui renvoient à des dynamiques contradictoires.

La pluridisciplinarité juxtapose les disciplines, l'interdisciplinarité les intègre, la transdisciplinarité les fait surplomber par un point de vue unificateur, par exemple le complexe.

Une des tendances fortes des sciences actuelles, est la parcellisation, l'ultra-spécialisation, due certes à l'accroissement considérable des connaissances, mais aussi aux stratégies scientifiques analytiques et réductionnistes. Or cette spécialisation s'oppose le plus souvent au point de vue du complexe, à la fois parce qu'un système dynamique ne rentre pas forcément dans les barrières disciplinaires découpées par l'étude statique et analytique des phénomènes et parce que les outils et les méthodes des sciences des systèmes complexes étant génériques, transcendent les barrières disciplinaires. La nécessité de recourir autant que faire se peut à des modèles ou simulations requiert déjà une formation en mathématique et informatique qui n'est pas dispensée à un niveau suffisant aux autres scientifiques (sauf les physiciens).

Les raisons invoquées par le RNSC pour revendiquer l'interdisciplinarité reposent essentiellement sur l'identité des méthodes d'étude du complexe quel qu'en soit le support. Il s'agit en fait de s'entraider à importer, chacun dans sa discipline, ces méthodes communes et à stimuler les recherches permettant d'en découvrir de nouvelles. Mais cela conduit souvent à déterminer des objets d'étude nouveaux, situés dans les failles créées par les frontières entre disciplines, du fait que chaque discipline, voire sous-discipline, détermine les questions scientifiques de l'intérieur strict de ses frontières (2).

La réciproque est-elle vraie, l'interdisciplinarité conduit-elle au complexe ? Une coopération entre disciplines est souvent exigée par les recherches finalisées ou appliquées, (voir  La société et l'économie de la connaissance) Il peut s'agir de replacer des objets d'étude dans un contexte plus large, qui sera, de facto, complexe. Dans ce cas, même si la revendication d'interdisciplinarité n'est pas issue d'une recherche explicite de complexité, elle peut en favoriser l'émergence (3). J'ai d'ailleurs évoqué comment le Santa Fe Institute, d'abord dédié à l'interdisciplinarité s'est rapidement transformé en Institut des systèmes complexes.