chapitre8e La dialogique d'Edgar Morin

Élaborant sa pensée complexe, Edgar Morin a eu besoin d'une logique différente de la logique cartésienne et a, progressivement, abandonné le terme de dialectique qu'il utilisait au début pour la dialogique qu'il a créée. Cette transition est bien marquée dans son ouvrage Sciences avec conscience publié en 1982 mais regroupant aussi des écrits antérieurs. Il associe la dialectique au seul dépassement des contradictions antagoniques (dont il ne veut pas) et crée la dialogique comme l'unité de deux contraires :

Le terme de dialogique veut dire que deux ou plusieurs logiques, deux principes sont unis sans que la dualité se perde dans cette unité.

N'est-ce pas aussi là ce que Sève a étudié sous le terme de contradiction non antagonique ?

On pourrait multiplier les citations, j'en choisis encore une :

Ce n'est pas le déterminisme qui est d'une « richesse fascinante », ce n'est pas non plus le hasard. Isolés, ils sont chacun d'une pauvreté désolante. La richesse fascinante, le véritable objet de la connaissance scientifique, c'est la (les) relation(s) ordre/désordre, hasard/nécessité. C'est la réalité de leur opposition et la nécessité de leur liaison. (1)

Cette nécessité s'exprime souvent, chez Edgar Morin par l'adjonction d'un troisième terme : ordre/désordre/organisation par exemple.

Un autre concept créé par Morin, celui de récursivité, par lequel l'objet produit est producteur du sujet qui le produit, s'accorde bien avec les boucles de rétroaction positive des systèmes dynamiques non-linéaires, est également inclus dans la contradiction dialectique cause/effet, tout en l'enrichissant, et me semble très proche de la contradiction embryogénique de Sève. Enfin ce que Morin nomme le principe hologrammatique (2), ne diffère guère me semble-t-il de la notion dialectique de l'unité des contraires, tout en l'enrichissant de l'épaisseur du complexe (voir La « pensée complexe » d'Edgar Morin).

Sa conception erronée (mais fréquente) des contradictions dialectiques réduites aux antagonismes, a peut être conduit Morin à se refuser à ce que ses travaux enrichissent « l'immense héritage » de la dialectique (3), ce qui a sans doute aussi conduit les penseurs marxistes ou marxiens à sous-estimer l'apport de ses travaux. Comme le dit un commentateur d' Edgar Morin :

Le « dialogique » est abordé comme l'instrument approprié pour penser et articuler des domaines radicalement inséparables et constituant un réel indissociable et complexe. Le dialogisme permet à Edgar Morin d'éviter le mot de dialectique, c'est-à-dire lui permet de faire porter sa réflexion sur la notion de contradiction sans avoir à penser son dépassement ce qui conduirait à une synthèse ou à un retour à l'unité. En un mot il permet à Edgar Morin de se dégager de la tradition hégélienne et marxiste qui avait pu animer ses premiers travaux. (4)

Sous bien des rapports, la dialogique m'apparaît pourtant comme un travail d'articulation entre une partie de la logique dialectique et la partie des sciences du complexe, présente dans la pensée complexe. Il me paraîtrait important d'en incorporer les apports à l'héritage de la dialectique, si cela s'avérait possible.