chapitre8e La dialectique pour surmonter les obstacles épistémologiques

Les sciences du complexe ont donc forgé (et forgeront sans nul doute encore) de nouveaux concepts scientifiques. Ce que j'ai appelé la pensée du complexe est une méthode de pensée qui émerge du fait que ces concepts sont génériques et transdisciplinaires.

La dialectique matérialiste — et là encore je m'appuierai sur le texte de Lucien Sève (1) — est à la fois une méthode de pensée et une logique, donc une branche de la philosophie, différente et complémentaire de la logique formelle. Ce que Sève appelle une méthodo-logique. Une science élabore des concepts, qui sont, autant que faire se peut objectifs, c'est à dire énonçant des propriétés qui, si elles ont besoin du scientifique pour être mises en évidence, restent vraies, en absence de l'observateur du moins un certain temps (2). La philosophie travaille sur des catégories qui :

étant par essence des concepts de rapport entre nous et le monde ont explicitement une dimension double : ontologique et gnoséologique, objective et subjective. (3)

En conséquence :

Le passage du philosophique au scientifique ne peut jamais s'opérer de façon valide sous forme de « déduction ». Le passage du scientifique au philosophique ne peut jamais consister en une simple généralisation… (4)

Il est important de conserver ces différences à l'esprit lorsque l'on veut s'intéresser aux rapports entre le complexe et le dialectique : La dialectique ne peut pas être utilisée pour prouver ou justifier telle ou telle théorie scientifique.

Mais, puisque les sciences du complexe permettent de surmonter les contradictions de la pensée scientifique comme l'opposition réductionnisme/holisme, on peut se demander si la connaissance de la logique dialectique est encore utile comme au temps de Haldane ou Prenant ? La réponse à cette question est multiple.

D'une manière générale, comme l'écrit Engels :

On peut y parvenir sous la pression des faits qui s'accumulent dans la science de la nature ; on y parvient plus facilement si l'on aborde le caractère dialectique de ces faits avec la conscience des lois de la pensée dialectique. (5)

C'est aussi ce que disait Marcel Prenant.

Dans un premier temps, même si ce n'est pas automatique, une connaissance de la dialectique matérialiste peut aider à surmonter les obstacles épistémologiques auxquels se heurtent les sciences du complexe, aider à comprendre tout l'intérêt de ces approches, à ne pas confondre pensée du complexe et holisme, à ne pas non plus sous-estimer l'importance de la non-linéarité. C'est sans doute le cas chez le paléontologue S.J. Gould, avec le terme de « complexité adaptative organisée » (6). Le physicien E. Bitsakis, pour sa part, tout en reconnaissant l'existence des différents niveaux d'organisation, ou de l'irréversibilité des processus, n'accorde qu'une importance marginale au complexe dans sa recherche sur la nature dans la pensée dialectique. Il écrit cependant :

La biologie, la cosmologie, les théories du chaos, ouvrent des champs nouveaux pour la dialectique de notre époque. (7)

Le physicien Gilles Cohen-Tannoudji articule aussi pensée dialectique et complexité en physique. (8)