chapitre8e Dépasser les contradictions entre réductionnisme et holisme

La thèse que je défends ici, à la suite d'Edgar Morin comme de Lucien Sève, est que le complexe représente en fait l'avancée scientifique qui offre les méthodes requises pour dépasser dialectiquement l'opposition réductionnisme/holisme, ce qui constitue une véritable rupture épistémologique. En 2006, à propos d'un nécessaire changement de paradigme en cours en biologie j'écrivais :

À l'heure actuelle, plusieurs types de recherches en biologie s'apparentent à cette tentative de dépassement et constituent ensemble une nouvelle discipline des sciences du vivant, dont le nom n'est pas encore fixé, mais que nous désignerons ici par « biologie des systèmes complexes ». Ces démarches s'appuient souvent sur des théories physiques, comme la dynamique des systèmes non-linéaires, ou des méthodes informatiques comme les automates cellulaires ou les systèmes multi-agents. (1)

Inversement, la cristallisation de l'opposition entre réductionnisme et holisme, (donc le refus d'envisager le possible dépassement de cette contradiction considérée alors comme une opposition éternelle, jointe au rejet idéologique de la dialectique), représente un des obstacles majeurs (pas le seul, bien entendu) à l'avancée des sciences du complexe. En effet, ce double refus, encore très prégnant à l'heure actuelle, conduit le plus souvent à recruter le complexe sous la bannière du holisme, en entraînant de facto la mutilation. Dans la mesure où les sciences du complexe s'intéressent aux systèmes et aux interactions, donc à une certaine globalité, d'aucuns (on se souvient de la citation de Danchin dans Communiquer entre les disciplines ?) ont voulu y voir le dernier avatar de l'attitude holiste et les partisans du holisme sont nombreux à s'emparer de certains (mais certains seulement) des aspects du complexe. C'est, comme je l'ai évoqué  dans L'approche systémique, ce qui se produit avec des approches systémiques, comme celle développée dans l'ouvrage de Arlette Yatchinovsky, où, en prenant systématiquement le contre pied de la position réductionniste, définie comme méthode cartésienne, donc sans la dépasser, l'auteure aboutit simplement à une position holiste, modernisée grâce à certains des concepts des sciences du complexe. Ce qui est généralement absent de ces conceptions tronquées, c'est la non-linéarité.

Plus grave encore, les sciences du complexe ont été complètement rejetées par certains au nom de la défense d'un réductionnisme considéré comme seul scientifique. A. Danchin, caricaturait ainsi, en 1980 les positions qu'il caractérise comme « antiréductionnistes » et qu'il déclare toutes holistes voire animistes :

Les propriétés intrinsèques du vivant sont considérées comme irréductibles à l'analyse, seule la considération du Tout peut être explicative […] Il existe de nombreuses variétés de cette façon de voir, toujours à la mode, et il serait facile de proposer une collection de textes allant de Lamarck à Thom, de Lyssenko à Koestler, ou de Prigogine à la Nouvelle Droite, où est affirmée la toute-puissance du global et où l'attitude analytique est ridiculisée de diverses manières (la plus fréquente utilisant le terme de réductionnisme), associé à diverses connotations plus ou moins injurieuses. (2)