chapitre7a émergence faible (épistémique) et émergence forte (ontologique)

Certains chercheurs ou philosophes des sciences distinguent une émergence faible (ou épistémique) et une émergence forte (ou ontologique). Mais ces deux termes désignent des notions différentes selon les auteurs. Pour l'informaticien Hughes Bersini :

Le long de cet axe interprétatif, situant l'émergence quelque part entre un premier extrême, essentiellement épistémique, émergence n'existant que dans le regard et dans la tête de l'observateur humain, et l'autre extrême, essentiellement ontologique, émergence témoignant d'un phénomène réel, fondamentalement réel, autonome par rapport aux parties qui le constituent dans un sens qui reste à définir, et qui échappe à la science classique, les physiciens et les chimistes se concentrent tous sur l'extrémité épistémique de l'axe. (1)

Pour lui, l'émergence faible, celle que définissent les systèmes dynamiques non-linéaires notamment, est épistémique, car elle ne consiste qu'en un changement de niveau du regard de l'observateur depuis les parties vers le tout, changement seul à même de déceler des propriétés nouvelles qui n'existent donc pas en elles-mêmes. L'émergence ontologique requiert toujours pour lui un observateur, qui ne peut être que la sélection naturelle.

Nous allons montrer par la suite qu'un phénomène émergera lorsqu'un ensemble d'objets en interaction propose une fonctionnalité collective nouvelle, aux « yeux » non plus uniquement d'un observateur humain, mais surtout et avant tout de la sélection naturelle, qui trouve dans ce phénomène de quoi doter l'organisme qui l'héberge d'une meilleure valeur adaptative. (2)

Il s'agit bien là d'une position philosophique qui, pour se vouloir matérialiste, ignore elle aussi la matérialité des transformations, donc la dialectique, et ne sait pas distinguer une propriété collective qui résume statistiquement des interactions et requiert un observateur (comme la pression d'un gaz) d'une propriété émergente qui fait apparaître des comportements globaux nouveaux « que nous en ayons conscience ou non ». De même Bersini réfute, au nom du matérialisme et pratiquement sans s'en expliquer la causalité descendante, ou action réciproque du tout sur les parties.

Cette influence du tout sur les parties est impossible si on choisit de s'en tenir à la vision des sciences de la nature endossée par l'essentiel des physiciens et des chimistes […] la causalité descendante serait, dans le rayon de la mauvaise science… (3)