chapitre7a Typologie des positionnements face à l'émergence

Pour certains scientifiques et nombre de philosophes des sciences, il n'y a émergence que lorsque se produisent des processus inattendus, surprenants, imprévus. À y regarder de près, les tenants de cette acception se répartissent en 3 groupes.

Il y a ceux pour qui l'émergence est ontologique : l'inattendu est une propriété fondamentale, qui caractérise notamment la vie. Soit l'émergence signifie que la vie possède un noyau inconnaissable, qu'on l'appelle l'élan vital ou l'intelligent design : c'est le vitalisme ; soit elle signifie que l'on ne peut pas comprendre un niveau d'organisation (un tout) en s'intéressant à ses parties (holisme), dans les deux cas l'émergence (le passage des parties au tout) est une propriété absolument inconnaissable. Il s'agit de positions clairement idéalistes.

Il y a ceux pour qui l'émergence n'existe pas. Ce terme désignerait seulement une ignorance et lorsque l'inattendu disparaîtra, il n'y aura plus d'émergence. Les plus radicaux dans cette position sont les réductionnistes durs pour qui le tout est égal à la somme des parties et qui sont convaincus que c'est le manque de connaissance des parties qui fait croire qu'il émerge quelque chose de nouveau et d'inattendu. Ceux-là, bien entendu, rejettent la révolution du complexe dans son ensemble au nom d'un matérialisme resté mécaniste, c'est-à-dire refusant les transformations.

D'autres enfin admettent l'émergence, mais seulement comme une propriété épistémique, liée à la considération de niveaux faite par l'observateur. Le réductionnisme faible (1) admet que le tout résulte non pas seulement de la somme, mais des interactions entre les parties et que, lorsque ces interactions ne sont pas linéaires, il peut y avoir des propriétés étonnantes. Mais en connaissant mieux ces interactions, l'inattendu, le non compris disparaissent et avec eux l'émergence, qui est donc une propriété purement épistémique. Corrélativement, ils n'acceptent donc pas d'appeler émergents les phénomènes (auto-organisation, bifurcations…) qu'étudie la physique des systèmes non-linéaires, dès lors qu'ils sont maintenant compris. On pourrait penser qu'il ne s'agit finalement que d'une question de définition de peu d'importance scientifique, même si l'idéologie sous-jacente, matérialiste mais ignorant les propriétés de transformations de la matière, est un matérialisme tout aussi réducteur que le réductionnisme dur. Mais le fait d'exclure les systèmes dynamiques non-linéaires notamment de l'émergence, conduit à une définition du complexe qui sous estime l'importance de la non-linéarité et prête ainsi le flanc à la confusion entre complexe et compliqué.