chapitre7a L'émergence fait surgir la polémique

De quelque façon que les savants veuillent se situer, ils sont dominés par la philosophie. La question est seulement de savoir s'ils veulent être dominés par quelque mauvaise philosophie à la mode ou par un mode de pensée théorique reposant sur la connaissance de l'histoire de la pensée et de ses acquis. F. Engels (1)

Si vous souhaitez assister à une polémique enfiévrée entre scientifiques, lancez le mot émergence dans une assemblée de chercheurs s'intéressant à la complexité.

Les définitions divergentes de ce terme vont fleurir et, chacun tenant dur comme fer à la sienne, aucun consensus ne pourra se faire, aucune discussion sensée même ne pourra aboutir. Le plus proche d'un consensus que j'aie vu se réaliser lors d'un colloque, a été le remplacement du mot émergence par un humoristique bip-bip rappelant l'impossibilité d'un dialogue autour de ce terme. Pour autant, les réunions où ce sujet est traité n'ont pas été rares ces dernières années : colloques dédiés de philosophie des sciences, tables rondes lors de colloques scientifiques sur les systèmes complexes, ou discussions à l'occasion d'une présentation scientifique, leurs formes ont varié, mais non leur incapacité à déboucher sur un quelconque accord. Et cela ne date pas d'aujourd'hui :

Un colloque sur l'auto-organisation et l'émergence a eu lieu en Belgique, à Louvain, en avril 1995. À la fin de ce colloque, plus personne n'osait prononcer le mot émergence parce qu'il était apparu que chaque participant accordait à ce mot une signification différente. (2)

La violence et la récurrence de telles polémiques suggèrent que des options philosophiques et métaphysiques, conscientes ou non, sont à l'origine de la discorde. J'utiliserai donc ici les différentes acceptions du terme émergence, comme un fil pour suivre les influences réciproques entre science et positions philosophiques ou idéologiques, et pour suggérer un rôle possible de la dialectique matérialiste.