chapitre3b La dialectique matérialiste peut contribuer à l'évolution des sciences

La troisième thèse enfin, la plus oubliée et méconnue, insiste sur l'utilité de la dialectique matérialiste pour comprendre que la matière ne peut être pleinement conçue que dans ce que Hessen désigne comme ses mouvements et que nous appellerions maintenant ses transformations. Contrairement à Newton, ou même à Descartes, qui pensent que :

toutes les variétés du mouvement se résument à la transposition mécanique […] le grand mérite d'Engels réside dans le fait qu'il considérait le processus du mouvement de la matière comme un éternel passage d'une forme de mouvement de la matière à une autre.(1)

Cette thèse s'appuie sur les transformations de l'énergie dont Friedrich Engels a fait une des clefs de voûte de la dialectique de la nature.

Le matérialisme dialectique considère que la tâche principale d'une science de la nature est l'étude des formes du mouvement de la matière dans leurs relations mutuelles, leurs correspondances et leur développement.(2)

Les Principia n'apparaissent ici qu'en négatif (une thèse par défaut, comme l'écrit S. Guérout) dans la mesure où l'état de développement des machines à vapeur au temps de Newton n'avait pas encore conduit la physique à prendre conscience, donc à chercher à rendre compte, des transformations de l'énergie. La compréhension dialectique de la nature nécessite aussi un certain état d'avancement des techniques et des connaissances scientifiques, donc un certain contexte économique et épistémologique.

Cette thèse montre qu'un scientifique soviétique a pu s'appuyer sur une dialectique de la nature, non pour imposer une théorie comme allait le faire le lyssenkisme une quinzaine d'années plus tard, mais pour donner en quelque sorte un cahier des charges, une feuille de route à la science : « étudier les formes de mouvement de la matière ». Cette feuille de route ne dit rien par exemple sur la valeur ou la véracité de la théorie de la relativité, mais elle légitime les recherches ayant conduit à la découvrir, donnant en quelque sorte de l'appétence pour ces recherches. Or ceci était à l'évidence très important pour Hessen, qui, partisan des théories de la relativité d'Einstein et de la mécanique quantique, avait été en butte aux sarcasmes des physiciens mécanistes soviétiques de son époque (qui le traitaient de dialecticien, et n'ont été évincés qu'en 1929). Mais en 1931, il commençait déjà à être en butte à la méfiance des idéologues staliniens qui l'accusaient d'idéalisme mencheviste, et lui reprochaient entre autres de ne pas utiliser la dialectique de façon normative.