chapitre3c L'impact de l'affaire Lyssenko sur la dialectique matérialiste

Les dégâts de l'affaire Lyssenko furent considérables, tant du point de vue humain (des généticiens chassés de leurs laboratoires, voire emprisonnés ou assassinés), qu'au plan de l'agriculture soviétique qui subit de grandes catastrophes, sans compter la génétique soviétique qui dût renaître bien tardivement de ses cendres. Mais une autre victime importante de ce que l'on a nommé l'affaire Lyssenko fut la dialectique matérialiste elle-même, que son instrumentation dans cette affaire discrédita pour longtemps. Ce discrédit atteignit rapidement l'ensemble de la dialectique matérialiste, sous sa forme dialectique de la nature comme sous sa forme du matérialisme historique.

Les décennies d'après guerre en France, avec les suites de l'affaire Lyssenko, puis le tout-structuralisme des années soixante, puis la vogue tardive du poperisme et de l'empirisme logique, ont été sauf exception celles d'un profond recul de la naissante culture dialectique chez les scientifiques de la nature.(1)

En France, quelques scientifiques (Pierre Jaeglé et Pierre Roubaud, Efticios Bitsakis et quelques autres(2)) s'y essayèrent encore dans le cadre du Centre d'Étude et de Recherche Marxiste -CERM- (3).

 

 

Lyssenko

Mais peu après 1968, la dialectique commença sa traversée du désert(4), y compris dans les disciplines de sciences humaines et sociales où son influence avait été vive. Puis, suite à l'effondrement du bloc soviétique, le déferlement de la vague néolibérale et de la pensée unique emporta tout. Il semblait que la dialectique de la nature, (comme toute la pensée marxienne) avait vécu, en dépit de la résistance tenace, mais solitaire, de quelques philosophes dont Lucien Sève ou Michel Vadée(5) et, en URSS, d'un Frolov (6) qui tenta de sortir la biologie et la dialectique de la fosse lyssenkiste.

Depuis une vingtaine d'années, un renouveau de l'intérêt pour la dialectique matérialiste commence à se faire jour en occident y compris parmi des philosophes des sciences (Gouz, Barot) et des scientifiques de la nature. Les biologistes américains (Richard Levin et Richard Lewontin) se réclament explicitement de la dialectique, tandis que le paléontologue Stephen Jay Gould s'en inspire. En France, les physiciens Gilles Cohen Tannoudji, et Pierre Jaeglé, ainsi qu'un groupe de scientifiques rouennais, ont recommencé, autour du philosophe Lucien Sève, à relever le gant de la dialectique dans les sciences de la nature, et d'autres y reviennent ou s'y engagent indépendamment, comme le mathématicien Évariste Sanchez-Palencia(7).

Peut-on conclure avec Isabelle Garo :

En ce sens, je me risquerai à affirmer que la répudiation de la dialectique est la marque d'une séquence théorico-politique qui se referme. Et que le retour de la dialectique sera la preuve de cette affirmation et l'indice que s'ouvre une nouvelle séquence, réactivant un type d'analyse historico-politique qui intègre pleinement sa dimension politique constitutive ?(8)