chapitre6d Des concepts qui doivent entrer à l'école

En résumé, les concepts scientifiques issus des sciences du complexe, me semblent avoir une assise propre qui leur permet d'être efficaces en dehors des domaines et des conditions qui leur ont donné naissance, et en particulier d'être utilisables sans l'arsenal mathématique ou informatique qui caractérise ces sciences. La pensée du complexe utilise donc bien une certaine transposition de concepts scientifiques d'un domaine à l'autre et comme telle, elle nécessite prudence et discernement et en aucun cas placage dogmatique. Mais comme telle aussi elle n'est en rien un système figé, mais une création vivante et continue, même si pour le moment, elle reste implicite, ou même ignorée de ceux-là mêmes qui contribuent à la faire vivre.

Or, comme nous le verrons dans les chapitres suivants, les sciences du complexe sont à l'heure actuelle freinées dans leur développement. Les Instituts national et régionaux des systèmes complexes se sont mis en place pour faire vivre l'interdisciplinarité des modèles et méthodes qui les constituent. Ils restent encore marginaux et ces méthodes ne sont ni généralisées, ni même, bien souvent, enseignées.

Pourtant, la familiarité avec certains au moins des aspects des sciences du complexe, je pense en priorité à la non-linéarité, facilite grandement l'acquisition de la pensée du complexe, en préparant à comprendre l'émergence ou l'auto-organisation par exemple. Le mathématicien Ian Stewart (1) disait que la linéarité représente un tout petit domaine du réel, par rapport à la non-linéarité et donnait l'image de biologistes qui n'auraient connu que les dinosaures et qui parleraient de « non-dinosaurité » en découvrant le reste du monde vivant. De même, le monde est essentiellement complexe et la complexité, ses méthodes et ses concepts sont connus depuis près d'un demi-siècle. Ces concepts devraient donc faire partie de l'arsenal de tout scientifique, mais aussi de la pensée de tout citoyen. Pour cela ils devraient être enseignées dans toutes les écoles, alors qu'ils ne figurent que bien après le baccalauréat et dans quelques filières, si bien que seuls les mathématiciens, et certains ingénieurs, physiciens et chimistes en ont connaissance à la fin de leurs études. Il s'agit d'une difficulté que la prise de conscience par la communauté des mathématiciens du caractère très spécial de la non-linéarité au niveau même des formes de l'entendement, permettrait peut-être de surmonter. Ainsi, la pensée du complexe peut être à son tour importante pour le développement et l'épanouissement des sciences du complexe elles-mêmes.

Nombreux sont encore les obstacles qui limitent le développement des sciences du complexe et empêchent la diffusion de la pensée du complexe et je vais tenter, en étudiant dans les chapitres suivants les contextes épistémologique, politico-économique et idéologique de cette révolution, de mieux comprendre sa nature et les causes des obstacles qu'elle rencontre.