chapitre6a L'APPROCHE SYSTEMIQUE

Issue de la cybernétique, ou du moins de la branche la moins mécaniste de la cybernétique, la systémique, apparue dans les années 50 et popularisée par le biologiste Ludwig von Bertalanffy en 1968 sous le nom de théorie des systèmes implique une certaine vision du monde, de la nature, du vivant et tout particulièrement de l'humanité, que l'on peut qualifier de holiste dans la mesure où elle s'intéresse à la globalité des systèmes indépendamment de leur composition élémentaire. Je ne vais pas décrire cette approche mais en rechercher simplement les convergences avec les sciences des systèmes complexes. Je distinguerai deux grands courants. L'un s'intéresse surtout à la structure, le plus souvent statique. Pour l'autre, la globalité d'un système comprend sa dynamique et se rapproche donc de ce que j'ai défini comme système complexe. En 1979 Jacques Mélèse écrivait :

La prise en compte des relations entre tout et parties, entre l'individuel et le collectif, de l'improviste attachée à la dynamique des processus de fonctionnement, d'évolution et d'apprentissage […] le qualificatif de systémique est, je crois le seul à l'heure actuelle qui comporte de telles connotations. (1)

Cette approche systémique des systèmes complexes se veut alors une méthodologie de compréhension et d'action maîtrisée du et sur le réel (2) et elle alimente un courant d'aide à la décision basée sur la complexité.

Elle se veut d'abord une méthode de pensée totalement opposée à ce qu'elle nomme la méthode cartésienne, à laquelle elle veut se substituer, nécessitant par là même une modification radicale de nos points de vue. Voici quelques principes issus d'un ouvrage destiné à aider à la gestion des entreprises, en utilisant l'approche systémique qui est ainsi définie :

À l'opposée d'une vision mécaniste, déterministe (telle cause crée tel effet), elle traite conjointement effets et causes dans leurs interactions.

Elle associe, rassemble, considère les éléments dans leur ensemble, les uns vis à vis des autres et dans leurs rapports à l'ensemble, […] à l'inverse de la logique cartésienne qui dissocie, partage, décompose pour simplifier la problématique.

Elle prend en compte l'ensemble du système auquel appartient l'élément, l'individu ou le problème considéré, afin de l'appréhender par ses interactions avec les autres éléments du même système, […] à l'inverse de l'approche analytique qui prend en compte l'élément, l'individu ou le problème considéré pour, à partir de lui, tenter d'appréhender l'ensemble. (3)

Il s'agit donc bien d'une approche globale, où les interactions (rapports) entre les éléments ont cependant moins d'importance que le comportement global lui même. La systémique met aussi en évidence la porosité des systèmes en interaction et la primauté des principes organisateurs du système englobant, sur ses sous-systèmes. La stabilité, l'équilibre du système étant le résultat de sa dynamique, le changement de cet équilibre doit vaincre le principe d'homéostasie : il est soumis à une action suffisamment significative et pendant un temps suffisamment long (afin d'être approprié par l'ensemble du système) pour être intégré par le système comme critère opératoire. En filiation avec la cybernétique, la systémique met donc l'accent sur les boucles de rétroaction négative et l'homéostasie, la stabilité et la finalité. Elle inclut aussi, de façon prépondérante, l'incertitude.

Enfin, elle définit une hypercomplexité dont :

la réalité est par et dans son mouvement, mettant en jeu d'innombrables paramètres interactifs, structurés et fonctionnant selon une logique de système. Le cerveau humain, l'humain, les groupes humains sont des exemples de systèmes hypercomplexes. Tout système est un élément « vivant » dont la stabilité réside dans la raison d'être, dans le traitement d'une problématique, dans la poursuite d'un but, d'une finalité qui le définit : cette stabilité n'est pas immobilisme mais « équilibration de sa dynamique fonctionnelle », c'est à dire que l'écartement de la ligne projetée doit générer un dispositif contraire de retour à ce vecteur de progression (comme un dispositif de pilotage automatique).

On voit dans ce cas d'évidentes convergences avec les concepts issus des sciences des systèmes complexes, avec l'accent mis sur les régulations et la stabilité dynamique. Les notions telles que non-linéarité, auto-organisation, émergence, bifurcations, ou encore processus loin de l'équilibre, de même que l'importance des boucles de rétroaction positive, en sont cependant absentes (ou y fonctionnent de façon implicite).

Qu'il s'agisse de la conception statique ou de la conception dynamique, l'accent est mis sur la stabilité, ce qui, (voir La société et l'économie de la connaissance) explique que la systémique se soit mieux imposée dans le cadre de l'économie libérale où elle reste compatible avec l'organisation hiérarchique des entreprises.