chapitre9c L'ingérence épistémologique de l'économie libérale

Les projets et les appels d'offre, rédigés par des comités d'experts qui comprennent des scientifiques choisis par le gouvernement et des représentants des grandes entreprises, permettent de savoir quels sont les objectifs que gouvernements et commission européenne assignent à la recherche pour assurer la compétitivité des entreprises (d'ailleurs sous la haute surveillance des lobbys industriels qui participent officiellement à l'ANR en France et dont on sait qu'ils ont pignon sur rue à Bruxelles). L'étude des programmes ainsi financés est donc une bonne indication de la manière dont le contexte économique et politique actuel intervient sur les directions de la recherche. L'analyse du contenu des appels d'offre (comparé à celui des projets de recherche plus libres), va nous permettre d'évaluer l'impact direct de l'économie libérale sur le développement scientifique et, en ce qui nous concerne ici, sur la révolution du complexe.

Les voies utilisées pour corseter et freiner ce qui gène, tout en développant ce qui paraît utile, sont diverses et pas toujours aisément décelables. Elles touchent en effet tous les aspects du développement des connaissances, quantitatifs certes (financements, postes), mais aussi qualitatifs, par l'intitulé même des appels à projets. Il va donc être nécessaire d'étudier cet aspect obstacle/développement de façon assez détaillée et qualitative car il ne consiste pas seulement en une importante diminution de l'effort de recherche fondamentale au profit d'une augmentation relative de l'effort de recherche appliquée, mais impacte profondément toute la recherche, les recherches fondamentales n'ayant pas disparu mais étant privilégiées dans les domaines où elles sont vues comme susceptibles de déboucher rapidement sur des applications. Il convient donc de se demander si les choix opérés par ces comités portent seulement sur les questions posées à la recherche, ou si ils impliquent aussi et par là même, une ingérence épistémologique, notamment en ce qui concerne les sciences du complexe ?

Dans la mesure où la biologie (sciences de la vie et de la santé) est entrée justement dans l'ère des techno-sciences au moment de la naissance (1) de d'économie de la connaissance, c'est sur des exemples issus de cette discipline que je me concentre d'abord dans ce chapitre (2) en étudiant la manière dont les représentants des marchés européens se sont ingérés dans le débat épistémologique concernant une discipline réductionniste (3), la biologie moléculaire.

Puis j'ai interrogé les appels d'offre français pour tenter d'évaluer directement l'impact de l'ingérence économique dans le développement des sciences du complexe.