chapitre6c Des sciences des systèmes complexes

Mais la pensée du complexe cherche en outre, pour concrétiser cette démarche, à s'enrichir de concepts émanant des sciences des systèmes complexes.

Elle surveille les comportements hors de l'équilibre, comme la multistationnarité, les oscillations, le chaos déterministe, les bifurcations et les processus auto-organisés ; elle recherche les boucles de rétroactions, négatives, mais aussi positives comme conditions nécessaires de la multistationnarité, donc de l'existence de multiples possibles ; elle est préparée à l'incertitude, à la pluralité des possibles, à l'importance du bruit.

Il est alors indispensable d'évaluer l'utilité et même la pertinence de ces concepts en l'absence des outils mathématiques et informatiques des sciences du complexe. Cette démarche rencontre, nous l'avons vu, de nombreuses réticences, non seulement parmi ceux qui récusent de toutes façons la complexité, mais aussi parmi ceux qui craignent une utilisation dogmatique et un placage totalitaire de concepts scientifiques transposés et donc inadaptés.

Et tout d'abord, en effet, il faut bien mesurer leurs domaines d'application. Tout n'est pas incertitude ou bruit, tout ne conduit pas à des bifurcations, tout ne s'auto-organise pas automatiquement, le désordre n'engendre pas toujours de l'ordre, les systèmes à comportement chaotique ne sont pas si fréquents et l'imprédictibilité n'est pas un absolu, mais la propriété de certains systèmes. Il ne s'agit donc pas de remplacer de façon automatique les concepts classiques par de nouveaux, mais de disposer aussi de ces nouveaux concepts pour analyser le monde dans sa complexité. On pense toujours à l'aide de concepts. Pourquoi faudrait-il se priver de ceux du complexe, s'ils s'avèrent utiles, sous prétexte qu'ils proviennent de disciplines scientifiques récentes qui les ont forgés grâce à des modélisations mathématiques ou informatiques ? Pourquoi faudrait-il privilégier ceux qui dérivent au fond de modèles mathématiques plus anciens, complètement intégrés dans notre imaginaire qui en oublie la source, comme la proportionnalité, dont personne ne met en doute la légitimité d'emploi hors des mathématiques.

Le choix de considérer un processus comme un systèmes complexe dynamique implique de s'intéresser prioritairement aux interactions. Or celles ci peuvent être linéaires ou non-linéaires. En quoi la linéarité est-elle plus acceptable que la non-linéarité ? Prendre en compte la non-linéarité nous permet par exemple de savoir qu'il n'y a pas toujours proportionnalité entre l'effort et ses résultats. C'est utile à condition de ne pas plaquer cette connaissance de façon indifférenciée à tout processus, mais de l'utiliser pour accroître le spectre des hypothèses et des observations qu'il faudra faire pour le comprendre ou pour tenter de prévoir le comportement d'un système, (voire le résultat de nos actions). Si les interactions sont non-linéaires, on doit s'attendre à ce que des comportements non intuitifs puissent se produire, ce qui aide certainement à les déceler, puis à les gérer.

Dans le cas d'un système complexe, les bifurcations obéissent à un certains nombre de types de comportements et présentent certaines régularités qu'il est évidemment utile de connaître. Par exemple, l'historien Immanuel Wallerstein, l'actuel chef de file de l’École des Annales, étudiant la crise actuelle du capitalisme, considère qu'elle est différente de celles du passé et ses turbulences erratiques lui évoquent ce qui se passe dans un système non-linéaire peu avant une bifurcation. Il pose donc l'hypothèse qu'une telle bifurcation est en marche dans le demi siècle qui vient (1) et en tire quelques propositions pour l'action. En quoi est-ce moins responsable et justifié que de faire l'hypothèse que le système mondial a atteint un état stationnaire stable et définitif (2) ?

 

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