chapitre8c Oppositions ou contradictions dialectiques ?

La question du dépassement de l'opposition entre réductionnisme et holisme était au cœur des questionnements du biologiste J.S.F. Haldane, dans les années 1920. Connaissant bien les positions holistes défendues par son père (J.B.S. Haldane), il était réductionniste par sa pratique scientifique de biochimiste et de généticien. Mais aucune des deux attitudes ne lui convenait et c'est finalement le marxisme et plus précisément la dialectique matérialiste, qui lui a permis de trouver remède à son malaise, ainsi que l'a très finement analysé S.Gouz (c'est moi qui souligne) :

Dans les années 1920 et jusqu'au début des années 1930, Haldane éprouve de grandes difficultés à se faire une opinion stable concernant le réductionnisme. D'un côté il lui arrive d'assimiler la méthode réductionniste à la méthode scientifique (assimilation sans doute renforcée par son activité en biochimie) ; c'est pour cela qu'il juge les théories holistes (même matérialistes) insatisfaisantes. D'un autre côté, il se heurte aux limites scientifiques du réductionnisme. Ces difficultés et le recours qu'il trouve face à elles dans le marxisme sont exposés dans l'article de 1940, « Pourquoi je suis un matérialiste » publié dans la revue matérialiste Rationalist Annual. La réponse théorique marxiste qu'il formule est développée dans La mécanique quantique comme base pour la philosophie et dans Biologie et marxisme. Il s'agit pour lui de penser que, dans le cadre du matérialisme dialectique, mécanisme et holisme peuvent être compris comme deux moments également nécessaires mais également insuffisants dans la compréhension du réel.

Il ne s'agit donc pas d'un matérialisme antiréductionniste, mais d'un cadre matérialiste capable d'englober l'opposition entre réductionnisme et holisme. On peut voir également dans le modèle qu'il propose pour classifier les interactions entre hérédité et milieu dans l'article de 1946, « L'interaction de la nature et du milieu » une mise en œuvre de ce dépassement de l'opposition entre réductionnisme (en l'occurrence dans son expression héréditariste) et holisme. (1)

Ainsi pour Haldane que cette conception a aidé dans sa recherche (2) , le hasard individuel des mutations et la nécessité, tout aussi individuelle de la sélection se dépassent par l'évolution (collective) des espèces.

De son côté et à peu près à la même époque, le français Marcel Prenant, dans son ouvrage Biologie et marxisme (3) traite aussi cette question. Il écrit dans le chapitre conclusif de son ouvrage :

Dans tous les problèmes examinés […] nous avons reconnu deux conceptions extrêmes, qui ont toujours les mêmes caractères. L'une ramène tout phénomène de la vie à des propriétés intrinsèques et […] invoque un principe vital, une entéléchie, une finalité […] L'autre fait intervenir au contraire, le milieu extérieur, avec ses forces mécaniques, physiques et chimiques ; mais trop souvent elle veut, sans précautions, ramener toute la vie, y compris la pensée à des phénomènes du même ordre. (4)

[…] La biologie empirique approche cependant, cahin-caha, d'une conception dialectique de plus en plus cohérente. Tous ses progrès décisifs consistent à renoncer, sous la pression des faits expérimentaux, à des conceptions rigides, à des oppositions diamétrales. Ils consistent si l'on veut […] à trouver, entre thèse et antithèse la synthèse convenable. (5)

Ainsi ces deux biologistes se rejoignent pour trouver dans la dialectique matérialiste l'outil conceptuel qui permet de transformer ces oppositions en contradictions dialectiques tant il est vrai que :

La dialectique est donc cette pensée logique qui ne se satisfait pas de proscrire les contradictions, ce qui n'a jamais empêché que s'en manifestent d'effectives, mais s'emploie à traiter ces dernières aux fins de les résoudre. Et comment résout-on – dialectiquement – une contradiction effective ? En osant d'abord, passant outre à l'interdit de la logique formelle, penser l'unité des contraires. (6)

Les prenant au sérieux [les contradictions] comme telles, la pensée dialectique s'efforce quant à elle de faire droit à leur vérité en découvrant ou inventant l'unité plus profonde ou plus élevée au sein de laquelle les contraires qui s'y manifestent peuvent coexister coopérativement ou conflictuellement jusqu'à certains seuils.(7)

C'est aussi cette démarche, bien qu'il ne fasse pas référence à la dialectique, que l'on trouve dans un texte datant de 1904. Dans l'un des tout premiers manuels où la théorie cellulaire ait été présentée, le Traité d'histologie de A. Prenant, P. Bouin et L. Maillard — cité par Canguilhem (8) — on pouvait lire :

Les unités individuelles peuvent être à leur tour de tel ou tel degré. Un être vivant naît comme cellule, individu-cellule, puis l'individualité cellulaire disparaît dans l'individu ou personne, formé d'une pluralité de cellules, au détriment de l'individualité personnelle ; celle-ci peut être à son tour effacée, dans une société de personnes, par une individualité sociale. Ce qui se passe quand on examine la série ascendante des multiples de la cellule, qui sont la personne et la société, se retrouve pour les sous-multiples cellulaires : les parties de la cellule à leur tour possèdent un certain degré d'individualité en partie absorbée par celle plus élevée et plus puissante de la cellule. Du haut en bas existe l'individualité.

En revanche, plus récemment les biologistes américains, Richard Levin et Richard Lewontin (8) ont également traité ce problème à partir de leur conception de la dialectique mais ils se sont surtout livrés à une critique du réductionnisme qui était déjà, en 1985, dominant dans toutes les sciences, et n'ont pas replacé ce réductionnisme dans sa relation dialectique au holisme.

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